Tonga Mboka...

Le prix à payer pour se marier est de moins en moins accepté par les jeunes, surtout issus de la diaspora. Concubinage, union libre ou célibat se développent.

Il y a, entre jeunes et vieux congolais, un sujet qui fâche. Faut-il vraiment payer une dot pour épouser sa femme ? Dans les familles, en particulier de la diaspora, c’est devenu une question brûlante. « Nos parents, nos grands-parents pratiquaient la dot au pays. On est en France, je ne pense pas que ça soit nécessaire. On dépense déjà beaucoup pour les fêtes de mariage. » Solange, 21 ans et jeune mère célibataire, refuse d’être « dotée » ou que l’on « dote » un jour son enfant. « Pourquoi dois-je vendre ma fille ? »

« La dot est une part de notre identité »

La réponse est toujours la même. Sans tradition, pas de culture congolaise, disent les plus âgés. « La dot est une part de notre identité ! s’emporte Tshimanga, ingénieur congolais, la quarantaine, installé dans l’Oise, au nord de Paris. Sa remise en question serait tout aussi aberrante que de demander à un Écossais de ne plus porter le kilt, de demander un Français de ne plus manger de baguette. C’est un raisonnement qui consisterait à renier nos valeurs, nos origines et notre culture. »

Les prix de la dot varient selon l’origine sociale des familles et le niveau d’éducation des femmes. Mais il est rarement inférieur à 1 000 euros, auxquels s’ajoutent les cadeaux pour la belle-famille : pagnes, mouchoirs de tête, chaussures, bijoux, boutons de manchettes, costumes, chapeau, chemise, cravate, souliers, montres, etc. Mais aussi des appareils ménagers, voire des smartphones dernier cri. Le total dépasse le plus souvent 2 500 euros.

Pour les tenants de la tradition, la dot, un cadeau de l’homme à la famille de la promise, comme dans les mariages musulmans, officialise le mariage et intègre les époux au sein des familles respectives. Il s’agit d’un rituel ancré depuis des siècles dans les mœurs et qui figure, au Congo, dans le Code de la famille. Or, ces dernières années, ce rituel a pris un tour de plus en plus commercial. Marier sa fille est devenu pour certains parents une opportunité de se faire de l’argent. Les tarifs ont pris l’ascenseur, sans relation avec les moyens du futur marié.

Pour Thérèse Locoh, démographe et spécialiste de l’étude des populations africaines, « la dot est devenue hors de prix, ce qui retarde l’âge du mariage ». Si bien que l’on assiste, selon l’ancienne directrice de l’Institut national d’études démographiques (INED), au développement de nouvelles pratiques : « des dots négociées, des unions libres avec ou sans enfant ou encore l’apparition d’un célibat définitif, très rare jusqu’à présent en Afrique subsaharienne ».

« Facture globale »

Patty, chauffeur de taxi à Paris, a quitté le Congo il y a quinze ans. « On a demandé à mon petit frère 1 800 euros pour doter sa fiancée, alors qu’il touchait à peine le smic. »Une somme qu’il a fallu doubler pour les cadeaux à la belle-famille. Il estime que ce système fragilise le futur ménage en lui soustrayant du patrimoine plutôt que de l’aider à se construire. Pour éviter de s’endetter, Patty a décidé – « sans regrets », dit-il – de vivre en concubinage, ce que les Congolais appellent en lingala yaka to vanda, littéralement « cohabitons ensemble ».

Dans certaines familles, la dot a pris des allures d’une « facture globale », incluant tous les frais et les dépenses consentis par la famille de la jeune fille « offerte » en mariage. Cela implique les frais de scolarité, de logement, d’habillement et d’alimentation. Elle augmente quand la fiancée a fait des études universitaires. « Je suis en droit d’entrer en possession de toutes les dépenses que j’ai faites pour scolariser ma fille. Et personne n’a le droit de me l’interdire » s’exclame Charles, sexagénaire à la retraite, rencontré à la sortie de l’église évangélique Parole du Salut, en région parisienne.


Dans son livre intitulé Sexualité, initiations et étapes du mariage en Afrique, au cœur des rites, l’écrivain congolais Emmanuel Vangu Vangu parle de la dot comme de « la compensation que le mari donne pour la perte qu’il a fait subir au clan de la jeune fille en lui arrachant une force essentielle ». Néanmoins, il dénonce les ravages de la colonisation et de l’économie de marché, qui ont monétarisé la dot. « Autrefois, le versement de la dot n’était que symbolique », écrit-il.

« Reconnaissance » du mari à la belle-famille

S’agit-il, comme le clament les jeunes générations, d’un « achat » ? De fervents défenseurs du mariage coutumier affirment le contraire. « La dot n’est pas un prix d’achat de la fille, car la fille n’est ni à vendre, ni en vente, s’emporte Bosco, un ancien de la diaspora qui se présente comme un expert des questions coutumières. Elle n’est pas esclave. La femme est le symbole de la fécondité, de la fertilité, de la continuation et de l’enrichissement d’une famille. » Bosco, la soixantaine, a été économiste. Il est intarissable sur les bienfaits de la dot, « qui témoigne de la reconnaissance du mari à la famille de son épouse pour le long travail d’éducation, de santé, d’inculcation des valeurs que les parents ont assumé sur leur fille ».

Difficile, pour des jeunes souvent désargentés, d’aller contre une tradition si forte. Certains décident de « faire avec », quitte à s’accorder sur un montant très modeste, à l’instar de Sarah, 23 ans, étudiante à la Sorbonne qui a accepté d’être « dotée » à 800 euros pour son mariage en février à Créteil, au nord de Paris.

Les vrais rebelles sont rares, mais obstinés. A l’instar de Natacha, responsable des ressources humaines d’une quarantaine d’années et mère de trois enfants. Elle partage sa vie depuis dix ans avec Cédric, gestionnaire technique dans l’immobilier à Paris. Eux ont décidé de se marier sans passer par la case dot, au grand dam de la famille. « On a dit “oui” au mariage mais “non” à la dot, tranche Natacha. La femme connaît son rôle de mère et de femme grâce à ce que sa mère lui a transmis. On n’a pas besoin de rajouter des choses archaïques. L’éducation a mon sens à plus de valeur que la dot. »

La mère de Cédric, à Kinshasa, a mis du temps à appeler Natacha “bokilo”, « belle-fille » en lingala. « Ma mère ne nous a plus adressé la parole pendant des mois après le mariage », se souvient Cédric avec encore une pointe de tristesse dans la voix. Refuser la dot est un acte qui peut aussi coûter cher.





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